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préliminaire

ainsi leur personnalité. L’ingénieur Z… me confia le soin d’exposer comment on fait le tour du globe en restant à la même place. J’étais là quand Nerval, le compositeur, mourut d’avoir écouté les Sirènes au creux d’un coquillage. Je possède aussi — j’en passe et des meilleurs — les mémoires de Fléchambault, l’infortuné qui séjourna chez les microbes… Enfin, mes registres contiennent pas mal de curiosités. Mais, en mon âme et conscience je l’affirme, tout cela n’est rien au regard des événements dont M. Le Tellier poursuivit l’énumération, tandis que son doigt décharné fouillait les archives du Péril Bleu.

Je dois dire qu’il racontait d’une manière saisissante, comme tous ceux qui ont vécu leur narration. Parfois même il tremblait d’une angoisse rétrospective, au vu de certaines pages qu’il avait tracées de sa propre main vacillante, au sortir d’un nouvel accident, « tout chaud », pour ainsi dire, et sous le coup du désespoir.

Ce jour-là, nous oubliâmes tous deux l’heure du déjeuner.

Telles sont les conjonctures dans lesquelles je fus appelé à écrire cette histoire de l’an de disgrâce 1912.

J’ai suivi, pour ce faire, l’ordre du temps, — le seul qu’un historien puisse adopter s’il méprise l’effet, comme c’est son devoir. Et toutes les fois qu’une pièce du dossier me l’a permis par sa concision, sa brièveté, sa justesse et la bonhomie de son écriture, je l’ai versée telle quelle à ma relation. Il en résulte un ensemble fort disparate et beaucoup de morceaux dénués de style ; cela est regrettable ; mais fallait-il échapper la moindre occasion de substituer la vie, toute palpitante, au discours d’un rapporteur ?

À ce propos, sans doute me fera-t-on grief de l’hospitalité libérale octroyée dans mon livre à la correspondance de M. Tiburce. Elle offre peu d’intérêt, et sa part dans l’action est assez minime, je l’avoue. Mais elle achève si bien le portrait d’un personnage dont le type funeste incline à se trop multiplier ; mais elle montre avec tant de bonheur où peuvent conduire certains excès, — qu’il