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le péril bleu

inconnue dont la mort pouvait remonter à la date néfaste du 4 mai. Il s’absenta sous un prétexte, à l’insu de tous, et revint le soir même, soulagé d’un pesant fardeau. La femme de la Morgue se trouvait brune, d’âge mûr et de type oriental. Une drague l’avait extraite de la vase, cousue dans un sac et nue. Tout cela était si loin de Marie-Thérèse, si étranger aux préoccupations de M. Le Tellier, qu’il s’aperçut enfin de l’excès où l’avait mené son abattement. De ce jour, il se raffermit peu à peu.

Il y eut aussi des reporters qui s’en vinrent carillonner à la porte de Mirastel, et qui, une fois éconduits, se bornaient à prendre des vues du château et de ses parages. Il y eut encore les arrivées du facteur, toujours attendues, toujours décevantes…

Et c’est tout ce qu’il y eut. Et dans la campagne également la tranquillité s’était rétablie, — quand ceci arriva tout à coup :

Dans la nuit du 13 au 14, le village de Béon, — situé entre Culoz et Talissieu, au pied du Colombier, à trois kilomètres de Mirastel, — fut ravagé. Des mains sacrilèges émondèrent la floraison des arbres fruitiers. Différentes bestioles, couchant à la belle étoile, disparurent sans laisser de trace. Enfin et surtout, une femme, attirée dans son potager par un bruit insolite, ne rentra pas et subit le même sort que les branches et les animaux. Il fut impossible de la retrouver.

De Béon, une vague circulaire d’épouvante se propagea sur le pays. Les journalistes y affluèrent. Mais, à partir de cet instant, les sources de terreur ne devaient plus cesser de se multiplier ; car, chaque nuit, un village nouveau reçut la visite du Sarvant.

Bientôt même il y eut des gens qui furent confisqués en plein jour, dans les lieux écartés. De ce nombre étaient les bergers et les vachères qui s’en allaient, seuls avec leurs bêtes, par les prés de la montagne. La plupart du temps, une seule personne disparaissait ; parfois deux ; et trois de-ci de-là. On remarqua que les enlèvements diurnes s’exécutaient de préférence sur les hauteurs, et que les flibustiers, de peur d’être trahis, avaient soin de capturer les témoins de leurs actes.