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Sinistres



Le duc d’Agnès était pressé de se mettre à l’œuvre avec son ingénieur. Il quitta Mirastel le même jour que Tiburce. Et le lendemain, 9 mai, M. et Mme Monbardeau regagnèrent Artemare.

Alors, au vieux château, la vie commença d’être un labeur douloureux et funèbre. L’idée de Marie-Thérèse obsédait les esprits. Par moments, on aurait préféré l’assurance de sa mort à l’incertitude, qui est une torture innombrable. (Quand on craint pour une jeune fille, on a tant de choses à craindre, n’est-ce pas ?)

Mme Le Tellier passait des heures et des heures enfermée dans la chambre de sa fille. Puis soudain, le besoin d’action qui les travaillait tous domptait sa langueur native, la poussait dehors et la faisait marcher au hasard, très vite, d’un pas tumultueux.

Chacun possédait, sur sa table ou sa cheminée, quelque portrait de la disparue, et chacun le contemplait bien des fois, religieusement, avec des souvenirs et des pensées, comme une icône sur un autel. Mme Arquedouve était privée de cette humble consolation ; ses yeux déjà morts la lui refusaient. Mais il y avait dans le salon un buste irréprochable de Marie-Thérèse, — un buste si ingénieux qu’il évoquait la jeune fille tout entière. Et l’on voyait la petite vieille dame palper le marbre longuement, de ses mains blanches et subtiles, et considérer de la sorte l’unique ressemblance qu’elle pût distinguer. C’était une occupation qui lui causait tout ensemble du plaisir et de