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le maître de la lumière

C’est un lieu retiré. Le chemin qui vient de la grande route toute proche s’arrête là, ou du moins ne se continue au delà de Silaz, que par des sentiers rocailleux, comme tous les sentiers de la contrée.

Le jour déclinait lorsque le cabriolet de Charles Christiani, conduit par le chauffeur Julien, quitta la route et s’engagea dans le dernier chemin de l’itinéraire Paris-Silaz.

Cinq cent cinquante kilomètres. Parti la veille au début de l’après-midi, Charles avait recommandé au chauffeur de ne pas faire de vitesse. Le voyage, ainsi, lui devenait salutaire. Il s’était placé à côté de Julien. L’air libre entrait largement dans ses poumons. Le spectacle du monde faisait défiler pour lui ses cent mille scènes. Et il avait la faculté d’échanger quelques propos avec son voisin, qui n’était ni sot ni indiscrètement bavard.

Charles ne s’inquiétait en aucune façon du motif qui l’amenait en Savoie. Il avait, à Saulieu, bien dîné, bien dormi ; on avait repris la route sans se presser. Il s’abandonnait doucement au plaisir pensif, à la rêverie bienfaisante de retrouver un pays et une maison où il savait que sa mélancolie ne serait heurtée par rien, ni présence, ni souvenir intempestif, ni laideur, ni petitesse : du silence dans un beau désert.

Une douceur profonde l’avait pénétré quand, à Ambérieu, la voiture était entrée tout à coup, de plain-pied dans les gorges, suivant des courbes incessantes au fond du magnifique défilé. Lui, il aimait la montagne, il était physiquement heureux d’en respirer l’atmosphère énergique et légère, d’en mesurer les sommets et les pentes, de voir contre le ciel pur, tout là-haut, se découper les cimes, ou, dans les nuages mouvants, les voir se perdre.

Puis, au débouché des vallons, dans le grandiose élargissement du pays et du ciel, dans l’éblouissement de la grande lumière retrouvée, comme la route descendante dominait encore le vaste panorama, il avait aperçu, au milieu de la plaine, le molard de Silaz, et ressenti une secousse presque imperceptible, au cœur. Alors il avait pensé que c’était, dans ce cœur, un peu de passé qui survivait, un peu de l’arrière-grand-mère