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le maître de la lumière

raient, à vrai dire, les seuls aïeux de Bertrand Valois, — et nous devions noter cette circonstance pour faire comprendre la façon dont Charles Christiani aborda le jeune auteur.

Il le trouva dans son studio, qui travaillait à quelque comédie. L’endroit était arrangé pour le plaisir des yeux et la commodité des besoins. Une grande baie prenait vue sur la Seine et le Louvre. Quant à Bertrand, déjà soigneusement rasé, ses cheveux cuivrés plaqués sur le crâne le plus rond qui se pût rencontrer, il avait serré autour de sa fine taille la ceinture d’une robe de chambre élégante à désespérer un don Juan de cinéma.

À l’entrée de Charles, il se dirigea prestement vers lui, les bras ouverts. Et le visiteur se sentit mieux, rien qu’à voir ce visage accueillant où veillait le nez même du génie comique, un nez pétri de malice, aux narines dégagées, aux ailes méritant vraiment le nom d’ailes, — le nez au vent, célèbre, avec lequel feu M. de Choiseul flairait les brises de Versailles, — le nez des grands acteurs, qui ne trompe jamais sur une vocation de théâtre. Un peu grand, sans doute. Un peu trop retroussé, d’accord. Mais, en définitive, un fameux nez, plaisant, généreux, artiste et réjoui, de ceux qu’on aime à voir entre deux yeux bien clairs.

— Eh ! déjà revenu ? fit Bertrand. Je croyais… Mais d’où sors-tu ? Tu as couché à l’asile ?

— Dans le train.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’autre en haussant les sourcils.

— Il y a que tu ne connais pas ton bonheur.

— Lequel, bonheur ? J’en ai un petit lot.

— Le bonheur de n’avoir pas d’ancêtres, prononça Charles.

— Inattendu !

— Ah ! mon ami, quand je pense que toi, un garçon intelligent, un homme d’esprit, tu regrettes cela : des ancêtres !

— C’est vrai, reconnut Bertrand. J’ai ce travers inexcusable !

— Oui, oui, je sais. Je ne t’ai vu mélancolique qu’une seule fois : nous parlions du passé, des aïeux… Eh bien !