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le maître de la lumière

« Merci d’être Christiani, comme je suis

« Ortofieri. »

C’était signé « Ortofieri », brièvement. « Ortofieri », fièrement. On aurait dit que toute la lignée des Ortofieri avait paraphé ce billet tendre et cruel, par la seule petite main de son unique descendante. Et, en effet, on sentait bien que toute l’âme des générations avait inspiré cette vaillante confirmation, si digne et si touchante à la fois.

Charles tenait la lettre bleue dans la lumière limpide du couchant. Il n’en distinguait qu’un mot, qui la résumait tout entière et qui résumait non moins cette tragique situation, — le mot « impossible ».

Et Charles croyait entendre l’abominable parole répétée par tous les Christiani et tous les Ortofieri qui s’étaient succédé depuis le 2 juillet 1835, y compris le vieux César avec son accent méridional, le vieux Fabius levant son pistolet, — jusqu’à sa mère, qu’il lui semblait voir se dresser devant lui, jaune et autoritaire, lissant d’un doigt coléreux ses bandeaux pareils aux ailes d’un corbeau, et lui criant, comme les autres, comme Horace Christiani, comme Napoléon Christiani, Eugène et Achille, les deux frères, et Adrien son père, mort au champ d’honneur :

— Impossible ! Impossible ! Impossible !

Comme si tous ces Corses avaient oublié que, depuis Louis XV, la Corse est française.