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le maître de la lumière

bien mieux qu’on préfère, et véritablement : l’élu.

Ah ! la belle journée ! Plus follement belle encore qu’il ne l’avait rêvé. Et quel sillage étincelant elle laissait derrière soi !

Presque effrayé de sentir vivre en lui, avec tant de force vibrante, un souvenir qui ne pouvait s’accompagner d’aucune espérance, Charles se surprit à faire un geste coupant et à prononcer très haut :

— Il faut oublier ! Il faut oublier !

On frappa discrètement à la porte.

Éprouvant un peu de confusion à la pensée que la domestique avait entendu ses paroles et que, pourtant, elle allait le trouver seul, Charles rougit d’avance.

— Entrez !… Entrez ! répéta-t-il, car personne ne se présentait.

Il se dirigea vers la porte, dans l’intention de l’ouvrir.

Une grande enveloppe bleu pâle gisait sur le plancher, l’un de ses coins encore engagé sous la porte.

Il la prit et lut son nom, tracé d’une écriture élégante, posée, féminine.

Dehors, dans le couloir, pas une âme.

Au dos de l’enveloppe, un chiffre : M. O.

Voici la lettre :

« Vous savez tout, maintenant, puisque vous savez qui je suis. Mais ce que je suis, le savez-vous assez ?

« C’est cela que je viens vous dire. Ou plutôt, c’est de cela que je veux vous assurer. Car, non, je ne vous ferai pas l’injure de douter de votre jugement, c’est-à-dire de votre estime. Je suis certaine que, pas une minute, vous n’avez soupçonné Marguerite Ortofieri d’être ce qu’elle n’est pas. Aucune accusation, j’en suis sûre, ne s’est levée, dans votre esprit, contre moi, contre mes sentiments et mon caractère. En commençant cette lettre, je voulais vous apporter la confirmation de vos pensées, comme un témoignage qui leur était dû, — avec aussi, peut-être, l’espoir inavoué de les renforcer et de les affermir. En écrivant cette lettre, je m’aperçois qu’elle ne serait digne ni de vous ni de moi si elle contenait quoi que ce fût qui ressemblât à un plaidoyer, ou même à