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relançait par une question. Et il résultait de tout cela que Luc de Certeuil devenait pour Charles Christiani un peu plus qu’une relation mondaine : un confident occasionnel.

— Tout compte fait, poursuivit Charles, César est le grand homme de ma famille.

« Il était né le 15 août 1769, à l’heure même où, tout près de là, Mme Buonaparte accouchait de son deuxième fils. Ainsi, le petit César, au nom impérial, devint le camarade d’enfance du petit Napoléon, de qui le nom ne voulait rien dire. Or, jamais l’amitié du futur empereur ne se démentit. Il fit de mon aïeul un capitaine corsaire dont la réputation brilla près de la gloire de Surcouf. Il l’enrichit et le reçut aux Tuileries toutes les fois que le loup de mer revint en France. Napoléon se plaisait à lui rappeler le temps d’Ajaccio et à se moquer de son accent coloré, d’autant plus volontiers que lui-même se piquait de l’avoir perdu, ce qui n’était pas tout à fait exact.

« Par malheur, il y eut Waterloo. La Restauration ne fut pas propice à César Christiani. Fidèle à son dieu Napoléon, il connut la disgrâce. Louis XVIII et Charles X prétendaient l’ignorer dans la masse des bonapartistes impénitents.

« Il se retira en 1816. La Corse ne le tentait pas. Je crois très fermement qu’après une existence de combats et d’abordages, il souhaitait se reposer, loin des querelles, des vendettas et des Ortofieri. C’est pourquoi nous le voyons alors habiter un petit domaine savoyard que sa femme lui avait apporté en dot et qui était le berceau de sa famille. Il avait épousé Hélène de Silaz en 1791. Elle était morte lorsqu’il s’installa dans cette propriété, à l’âge de quarante-sept ans, pourvu d’un fils, Horace, mon ascendant, et d’une fille, Lucile, dont il reste une descendante aujourd’hui fort âgée.

« Pourquoi, treize ans plus tard, vint-il loger à Paris, 53, boulevard du Temple ? Pourquoi, sans espoir de retour, délaissa-t-il sa retraite de Silaz ? Ses papiers, ses Mémoires que j’ai compulsés, manquent de précision sur ce point. Il est à supposer, tout simplement, qu’il en avait assez de la campagne et de la solitude, ainsi qu’il