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le maître de la lumière

couchant blêmissait les branches dans les bosquets funéraires et archaïques. Les oiseaux, sur le point de disparaître pour la nuit, pépiaient à l’envi dans le grand silence du jardin des morts, et c’était infiniment triste.

Toutes les roses jonchèrent la dalle, montant vers la stèle, en buisson clair et magnifique.

Rita, interrogeant Geneviève du regard, eut un geste évasif.

— Mais oui, c’est très bien, répondit l’amie. Puisque tu tenais à t’exprimer, tu ne pouvais mieux le faire.

Rita Songeait tout haut :

— Il n’en saura rien, jamais…

Puis, avec une ironie glaciale :

— C’est discret, c’est poétique, enfin c’est parfait.

— Tais-toi ! supplia Geneviève.

— Voilà ! reprit Rita en s’éloignant pas à pas et sans cesser de regarder la tombe fleurie. Ci-gît l’amour de Charles et de Rita, 1929-1930.

Geneviève Le Tourneur se taisait.

— Viens, va, dit-elle enfin. Allons-nous-en.

— Ah ! nous avons bien le temps ! Pense que c’est la dernière fois que je me donne le droit de m’occuper de lui. Rien que cela : porter des roses ici en songeant à lui, en guise d’adieu… rien que cela me causait une joie… une joie sans égale. Alors, comme c’est fini, n’est-ce pas…

— Viens, répéta Geneviève.

Elle l’entraîna doucement.

Dans la solitude recueillie où le soir semblait en oraison, la jonchée de roses avait l’air d’une jeune fille prosternée. Rita, de loin, en se retournant, pouvait croire qu’elle avait laissé en arrière le suave fantôme de son rêve, et qu’il priait.

On ne sait pas. La prière des roses ne fut peut-être pas sans influence sur la suite des événements. Parce qu’il n’y a jamais de prière vaine, ni de rose inutile.