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plus étroite et plus chaude, qu’ils mettaient leur orgueil à motiver par le départ de Colomba, exclusivement. Et la mère, secrètement torturée, priait de tout son cœur pour l’allégement de leur double souffrance.

Peut-on dire que cet allégement se produisit ? Ce serait sans doute bien mal traduire leurs sentiments. Cependant, lorsque la nouvelle que la fiancée de M. de Certeuil était gravement malade, est-ce que leur saisissement, est-ce que, même, l’affreuse angoisse de Charles ne furent pas mêlés d’on ne sait quel relâche ? Charles voulait croire que Rita guérirait, il se refusait à admettre toute autre suite à cette maladie dont il connaissait les causes et qui lui rendait la jeune fille aussi chère qu’une martyre bien-aimée. Mais pouvait-il ne pas voir une intervention vraiment providentielle dans ce délai, dans cet effrayant sursis qui remettait à plus tard l’événement dont l’imminence l’épouvantait ?

Sur le moment, il fit taire en lui les voix qui s’écriaient : « Rien n’est perdu ! La destinée gagne du temps ! Courage ! » Aussi bien, une semaine plus tard, les bulletins de santé que Geneviève Le Tourneur lui communiquait quotidiennement se firent si menaçants que l’anxiété seule régna dans son cœur et qu’il se reprocha avec abomination d’avoir pu se laisser distraire par des pensées étrangères au salut de Rita. Et pour qu’elle vécût, pour que la nature continuât de compter au nombre des vivants celle qui la parait de tant de grâce et de grandeur, il offrit au monde le sacrifice de la perdre, pourvu que le monde ne la perdît point.

De telles décisions, prises dans le mystère des consciences, sont-elles propres à modifier le cours du destin ? Les forces qui règlent l’avenir, dirigent les épisodes et préparent les dénouements sont-elles — comme nous le voudrions — sensibles aux réactions des âmes ? Nos attitudes ont-elles le pouvoir de déterminer le futur dans un sens ou dans l’autre ? L’heure n’est pas venue encore de révéler au lecteur comment ces forces devaient tenir compte du vœu si pur et si élevé de Charles Christiani. Des mois passèrent, pendant lesquels ses pensées, désormais invariables, ne démentirent pas sa belle résolution. Il y fut fidèle à tous les instants, même quand on lui