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le maître de la lumière

bonne figure aux invités qui affluaient : témoins, parents, garçons et demoiselles d’honneur, habits noirs et décorations, toilettes exquises, jeunesse, pompes et fleurs, quand Amélie Drouet s’avança, au milieu de tout ce beau monde élégant, comme l’ambassadrice charmante d’un passé malheureusement disparu à jamais.

Comment cette petite vieille n’était-elle pas ridicule en ses atours démodés ? Pourquoi n’y eut-il qu’un cri pour la déclarer adorable avec ses quatre-vingt-trois ans, ses rides et sa démarche saccadée ? C’est que tout, en elle, provenait d’une époque dont la grâce, oubliée, était faite d’impérissables séductions, léguées par les aïeules. Elle avait beau n’être qu’une antique Carabosse ratatinée, harnachée de falbalas invraisemblables, elle portait l’indéfinissable marque de la politesse d’antan et d’une éducation non pareille. Tant d’aisance et de sûreté surprenait les jeunes filles qui ne comprenaient pas pourquoi cette caricature, au lieu de les faire rire, leur imposait. De grands siècles s’étaient succédé pour revêtir ce petit bout d’ancêtre d’une insaisissable élégance, que des générations avaient cultivée et qui, maintenant, étonnait les gens comme une merveille dont le secret s’était perdu.

Charles s’élança véritablement vers elle, tant la cousine Drouet — qui pourtant n’avait jamais été qu’une grande bourgeoise et non pas même une fille de petite noblesse — avait, en se présentant, de la race et « de la branche ». Ses yeux, d’un bleu passé, regardaient comme ceux d’un pastel ; ils avaient l’air d’avoir été conçus par un La Tour ou un Chardin, puis effacés, un peu, par l’estompe du temps. Et, tout à coup, Charles Christiani réalisa pleinement pourquoi elle lui était si sympathique. C’est qu’elle ressemblait sans conteste à César. Les caprices de l’hérédité avaient privé la branche aînée, du moins jusqu’à présent, de cette succession charnelle ; mais le visage du corsaire revivait, adouci, sous les bandeaux blancs de la vieille cousine, et c’était pour Charles une joie et un soulagement que retrouver de César quelque chose de vivant, depuis qu’il contemplait le corsaire défunt comme derrière la vitre de l’au-delà.

La cérémonie faite avec un magnifique déploiement de