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le maître de la lumière

— Autant qu’un nez comme le nôtre peut se pincer ! dit Bertrand Valois avec une grimace narquoise.

— Il souriait cependant, poursuivit Charles, et s’efforçait de faire bonne contenance. César le considéra pendant quelques secondes, que l’homme dut trouver plus longues que les autres. Enfin, ce fut l’attrapade telle que tu peux l’imaginer, telle que la mimique de César a pu m’en donner une idée d’ensemble : le vieux, toujours assis, vitupérant, invectivant, blême, puis congestionné, empoignant l’accoudoir du fauteuil et le rebord du bureau, se démenant, allant fermer la fenêtre pour amortir ses éclats de voix, — et debout, ferme, noir et blanc, le jeune homme pâle, laissant passer l’avalanche, flegmatique d’abord, puis jouant avec sa canne, négligemment, lorsque le vieux, posté devant lui, les mains dans les poches, la tête dans les épaules, lui intimait, je ne sais quoi, comme à un domestique.

« Il me paraît certain que César lui demanda la clé à l’aide de laquelle il s’était introduit, la veille, dans l’appartement. La suite me l’a fait croire.

« L’inconnu tira cette clé des basques de son habit et la tendit au terrible bonhomme qui s’en saisit avec rudesse et montra la porte.

« Ce geste significatif n’eut pas l’effet qu’il en attendait. On ne bougea point.

« César s’avança, menaçant. L’homme à la canne, très maître de lui, leva la main pacifiquement et put dire enfin quelques paroles, avec un air très digne et très doux, empreint toutefois d’une grande énergie.

« Sa petite harangue parut faire réfléchir César. Il ne répliqua rien, demeura quelque temps dans la posture d’un homme qui étudie un problème, examine une proposition…

« Il se décida et, ouvrant, la porte, appela.

« Henriette vint à son appel.

« À ce moment, il ne fut pas difficile de comprendre quel amour unissait la jeune fille à son sympathique complice. Leurs regards me l’apprirent.

« La scène fut dramatique. Je ne pense pas me tromper en disant que César avait fait venir Henriette, à la prière de l’inconnu, pour recevoir ses adieux. Ce que