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le maître de la lumière

qu’on avait manqué son entrée de face, — cet homme était à coup sûr beaucoup plus jeune que Fabius Ortofieri.

Il porta la main sur le buste de Napoléon, le souleva d’un côté. On vit mal ce qu’il faisait. Cela fut rapide. Il se retourna et commença de se retirer comme il était venu.

Alors, on put le dévisager commodément.

— Par exemple ! s’exclama Luc de Certeuil. Voilà un gaillard d’autrefois qui vous ressemble d’une manière surprenante ! Est-ce que par hasard vous auriez déjà vécu en 1835 ?

Il s’adressait à Bertrand Valois. Celui-ci ne savait que dire. Il avait blêmi, sous le coup d’une stupeur indicible. Colomba et Charles, le souffle arrêté, cherchaient à comprendre…

L’homme furtif était le sosie de Bertrand. Il avait le même âge que lui, la même face spirituelle, le même nez rarissime et inimitable, le même poil, d’un blond cuivré. S’il eût été gai et plaisant, au lieu de montrer tant de mystérieuse préoccupation, on aurait cru vraiment que, dans la plaque de luminite, Bertrand Valois, costumé, jouait un rôle ! Cet inconnu lui ressemblait comme un frère — ou comme un grand-père.

Colomba avait saisi le poignet de son fiancé et l’étreignait convulsivement.

La caméra, tournant toujours, ronronnait en sourdine.

Luc considérait avec ironie le jeune auteur dramatique. Et les trois autres se taisaient, crispés, secrètement angoissés, car l’homme de 1835, celui qui s’introduisait en conspirateur chez César, en son absence, un mois avant son assassinat, présentait maintenant le côté droit de sa personne, et, de ce côté, il serrait sous son bras, contre son corps, une longue canne de jonc terminée par un pommeau d’argent, pareille à celle que Bertrand Valois avait héritée de ses ancêtres inconnus, trop pareille pour n’être pas cette canne même et non une autre.