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le maître de la lumière

Ils pouvaient contempler les murs des fortifications et, plus haut, devant la bastille reculée du sémaphore, deux tours jumelles, d’un blanc cru : l’une surmontée d’un lanterneau, l’autre d’un écran de verre rouge.

La passerelle relia le vapeur à l’extrémité d’un môle.

— Venez vite ! reprit Rita. Nous allons traverser le village et donner un coup d’œil sur les champs…

Ils allongèrent le pas et devancèrent rapidement le gros des touristes.

Des ponts-levis déserts. Des corps de garde sans soldats. Une place d’armes verdoyante et ombragée, dans son cadre de glacis et de talus géométriques. Au bout : un village blême et silencieux, où l’on respire un air qui n’est plus d’aujourd’hui.

Geneviève dit, s’adressant à Charles :

C’est bien d’ici, n’est-ce pas, que Napoléon est parti pour Sainte-Hélène ?

Le jeune historien précisa, en quelques mots ce chapitre tragique de l’épopée impériale. Il s’en acquitta brièvement, soucieux de ne faire aucun étalage de sa science. Le sujet, pourtant, l’intéressait à titre personnel. Non qu’il eût la moindre velléité d’écrire sur Napoléon ier. Mais l’histoire de l’empereur était liée à l’histoire de son aïeul, le capitaine corsaire César Christiani, né à Ajaccio comme Napoléon et le même jour que lui, de sorte que « l’autre » l’avait toujours protégé, en mémoire de cette conjoncture qui lui semblait fatidique.

Il ne pouvait être question de visiter le musée napoléonien installé dans la maison dite « de l’Empereur » : le temps faisait défaut. Ils se contentèrent de marcher moins vite en passant devant la porte vieillotte, avec ses marches usées et ses humbles colonnes, par où l’on peut dire que l’homme de Waterloo sortit de France pour n’y jamais rentrer, du moins vivant.

Encore des ponts-levis, ou plutôt des ponts qui, jadis, avaient levis… Des fossés d’eau dormante. Et, devant les trois visiteurs, bordée à droite par une anse gracieuse, au fond par des bois moutonnants, à gauche par des ouvrages militaires couverts de gazon : une petite plaine ensoleillée.

Toute l’île, à peu de chose près, était là.