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la maître de la lumière

Charles et Rita purent s’éveiller.

— Déjà ! s’écrièrent-ils à l’unisson.

Le bateau virait. L’île d’Aix leur apparut. Alors, parmi les groupes de passagers, un matelot circula et fit savoir que, par exception, l’escale serait d’une demi-heure et non de quelques minutes, à cause d’un débarquement de marchandises plus important que d’habitude. « Les touristes qui désiraient descendre à terre y étaient autorisés. »

— Je connais l’île d’Aix, dit Rita. Je l’ai visitée l’année dernière avec mes parents. Mais je la reverrais volontiers.

— Moi, je ne la connais pas, fit Geneviève, mais crois-tu qu’en une demi-heure on ait le temps…

— C’est tout petit. On peut très bien se rendre compte de l’aspect général. M. Christiani, lui non plus, n’est jamais venu… Monsieur, voulez-vous descendre avec nous ?

— À vos ordres ! accepta joyeusement l’interpellé.

Il admirait la décision de Rita, l’ardeur contenue qui émanait de sa svelte personne, le feu sombre de ses prunelles et, quand elle le regardait bien en face, tout ce que ses yeux décelaient de franchise, de volonté, avec, parfois, l’ombre énigmatique d’une pensée profonde, consciente des actes, de leur importance et de leurs suites. Cette petite fille était « quelqu’un ». Une force. Une intelligence. Une énergie. Une vraie femme, surtout, vers laquelle il se sentait attiré par mille influences, jusqu’à l’esprit aventureux, jusqu’au mystère féminin qu’il devinait en elle. Et puis quelque chose encore agissait pour l’aimanter vers tant de grâce et de beauté : la sourde conviction — illusoire peut-être ! — qu’ils étaient tous deux, on ne sait comment, du même pays sentimental ; qu’un même climat réglait leur tempérament et que, parlant le même langage, leurs cœurs avaient une patrie commune dans l’Europe de l’amour.

— Allons ! dit-elle.

Le Boyardville pivotait, machine arrière, machine avant, coups de timbre, grincements des chaînes du gouvernail. On jetait les amarres. Un rassemblement de passagers s’était formé à la coupée, prêts à débarquer.