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le maître de la lumière


Le douze mai. En effet, par la fenêtre à petits carreaux, les arbres du boulevard du Temple, très touffus, — les quatre rangées d’arbres, — avaient leur jeune feuillage printanier…

En cet instant, Charles éprouva l’une des plus fortes émotions de sa vie d’historien. La situation de la plaque de luminite était telle que, de l’endroit où César l’avait suspendue comme un tableau ou comme une glace (c’est à dessein que nous le répétons), elle embrassait la vue du boulevard vers la droite, vers l’est. Et par là, entre la maison de l’Estaminet Rustique et le modeste Café des Mille Colonnes, qui étalait dans un grand renfoncement, à hauteur d’entresol, le toit surbaissé de sa halle à quatre pentes, une masure toute en hauteur se dressait, avec ses trois étages à une seule croisée, dont le premier était peint — déjà — en rouge sang, et dont le troisième, sous une toiture oblique comme un sourcil de fourbe, ouvrait sur la large voie parisienne un œil de borgne : une fenêtre carrée, tassée, avec une jalousie remontée.

À l’aide de la jumelle qui tremblait entre ses doigts, Charles lut, à droite de la fenêtre du premier, sur un « blanc » ménagé dans le badigeon écarlate, le chiffre 50. Plus haut, au-dessus de la même fenêtre, en lettres blêmes sur tout ce rouge : MARCHAND DE VINS.

Plus haut encore, couronnant la fenêtre du second étage, une espèce d’enseigne peinte :

Par an : 4 francs
JOURNAL DES CONNAISSANCES UTILES
Rue des Moulins, n° 18

La maison de la machine infernale !

Deux ans encore ! Exactement deux ans, deux mois et seize jours, et, de cette fenêtre à jalousie partirait la salve meurtrière ! Et cette chaussée pavée serait jonchée de morts et de blessés ! Et l’un des attentats les plus tristement célèbres de l’histoire universelle s’accomplirait !

Jamais sensation plus étrange avait-elle envahi l’âme