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le maître de la lumière

reux demeurait plein d’ardeur. Une musique d’oiseaux se devinait dans le feuillage, et l’amour baignait de son indicible bonheur cette chambre de verdure, allégorique et voluptueuse.

Il est facile de comprendre pourquoi Charles ne s’attarda pas longtemps devant ce symbole triomphant de la félicité par l’amour. Un peu puérilement, il retourna face au mur l’ouvrage de la grand-mère Estelle, dont la vue lui était pénible, et, s’asseyant dans une bergère, au coin du feu, se reprit à rêver.

Bientôt, toutes les idées qui l’avaient occupé au cours de la soirée s’enchevêtrèrent. Il se remémora la revue des gardes nationales du 28 juillet 1835. Il entendit le fracas de la machine infernale. Il vit, sur la chaussée du boulevard du Temple, le tumulte ensanglanté des victimes. En même temps, les phases de l’instruction criminelle du procès Ortofieri lui revenaient à la mémoire, mais c’était pour se combiner bizarrement avec le départ de César en chaise de poste, son apparition spectrale dans la petite chambre haute, la vision de Rita sur le tillac du Boyardville, tenant un livre à la main et portant un perroquet sur l’épaule ! Finalement, il eut la sensation d’envelopper de son bras la taille flexible de la jeune fille, d’étendre la main vers un sanctuaire bocager où l’Amour souriant se dressait dans une douce gloire. La-dessus, ses yeux se fermèrent comme s’il poussait son dernier soupir dans un cabinet de travail tapissé d’un papier Empire et rempli de choses disparates. « Ah ! murmura-t-il, c’est Fabius, hélas ! C’est Fabius Ortofieri qui m’a tué ! »

Et, plongeant plus profondément dans le royaume ténébreux des cauchemars, il s’endormit.

Il s’endormit si bien qu’il se réveilla plusieurs heures après, sans avoir entendu Péronne frapper maternellement à la porte, pénétrer jusqu’à lui sur la pointe des pieds, éteindre les deux lampes et se retirer silencieusement, comme l’un de ces personnages dont la luminite faisait voir les gestes centenaires, sans faire entendre, à jamais perdu, le bruit de leurs actions.

Mais « se réveilla-t-il » vraiment ? N’était-ce pas plutôt l’un de ces faux réveils qui, au milieu du songe le