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le maître de la lumière

serait passé en son absence, dans le parc et sur le devant du château, lui apparaîtrait de loin en loin ; et si quelque incident lui semblait digne d’examen, il n’aurait qu’à en observer tranquillement le cours.

Cependant, il songea que peut-être il ne reviendrait jamais en Savoie, et il se divertit à placer des plaques épaisses d’un siècle-lumière, à vue de nez, afin que, cent ans plus tard, on eût la surprise sans égale d’apercevoir, à travers ces plaques, les choses de son temps.

La fenêtre n’avait pas de volets ; donc aucun obstacle, du moins pour quelque temps, ne viendrait masquer la vue, s’opposer à l’action de la lumière.

Les plaques, étant vierges, resteraient opaques durant cent ans ; elles n’attireraient pas l’attention.

César les ajusta donc au châssis de la croisée, en mastiquant avec soin les bords, pour éviter que la faible luminosité des tranches ne trahit son stratagème.

Il termina enfin sa confession, qu’il était venu écrire tous les soirs dans la petite chambre haute, où personne, à cette heure tardive, ne pouvait l’importuner. Son avant-dernière phrase annonce qu’il a l’intention d’emporter à Paris une plaque de verre-optique. La dernière laisse entendre qu’il partira trois jours plus tard, et, revenant sur le sujet de ces plaques qui, dès ce moment, couvraient, derrière lui, une moitié de la fenêtre, César donne à sa conclusion un tour malicieux.

Cette malice, lorsque Charles Christiani, son arrière-petit-fils, lut le mot final du mémoire, lui rappela vivement le coup d’œil ironique que César — l’ombre de César, plus justement. — avait jeté sur la fenêtre ainsi équipée. Coup d’œil que le jeune homme et le chauffeur Julien avaient cru leur être destiné.

En refermant sur le manuscrit la couverture jaune et noire, Charles, la tête bourdonnante, regarda autour de lui ne sachant plus vraiment, dans quel siècle il se trouvait. Fiévreux, exalté, il était inconsciemment sous le coup d’une désillusion puérile. Car la découverte d’un manuscrit inconnu, œuvre de César Christiani, lui avait fait espérer confusément il ne savait quelle révélation concernant les rapports du corsaire avec son assassin,