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le docteur lerne, sous-dieu

parfums dénaturés, j’interrogeai le lieu autour de moi, et son incohérence mirifique se dégagea tout à fait.

Le printemps, l’été, l’automne y régnaient de compagnie, et Lerne, sans doute, avait supprimé l’hiver qui souffle les fleurs comme des flammes. Toutes elles étaient là, près de tous les fruits, mais pas une, mais pas un n’avait poussé sur sa plante où son arbre naturels.

Des bluets en colonie garnissaient une hampe abdiquée par des roses trémières et qui se brandissait, thyrse désormais bleu. Un araucaria modelait au bout de ses branches hérissées les clochettes indigo de gentianes. Et, le long d’un espalier, parmi les feuilles de la capucine et sur le réseau de sa tige serpentine, des camélias devenaient les frères de tulipes bariolées.

Vis-à-vis la porte d’entrée, un massif s’élevait contre la verrière. L’arbuste qui le dominait m’attira. Il y pendait quelques poires et c’était un oranger. Derrière lui, pampres dignes de Chanaan, deux ceps enguirlandaient une treille ; leurs grappes géantes différaient selon le pied : celui-ci les portait jaunes et celui-là vineuses, chaque grain était ici une mirabelle et là une norberte.

Puis, aux branchages d’un chêne minuscule où plusieurs glands insoumis s’entêtaient à éclore, on voyait des noix et des cerises voisiner. L’un de ces fruits avortait : ni brou ni griotte, il formait une tumeur glauque marbrée de rose, monstrueuse et répugnante.