Page:Renard - Le Docteur Lerne sous-dieu, 1908.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.
31
le docteur lerne, sous-dieu

je partis à sa recherche, plus vaillant que le véritable Persée, armé d’un échalas et caracolant sur un hippogriffe invisible. Mais, quand je le découvris, la citrouille me darda un regard si étrange, que Persée faillit prendre la fuite et que les parapluies durent à son émotion d’être mis en pièces dans le sang jaune du facétieux légume.

Mes mannequins, en effet, m’impressionnaient par le rôle que je leur donnais à tenir. Comme je me réservais toujours celui de protagoniste, de héros, de vainqueur, je surmontais facilement cette crainte, le jour ; mais, la nuit, si le preux redevenait le petit Nicolas Vermont, un gamin, la futaille demeurait tarasque. Blotti sous mes draps, l’esprit tourmenté par l’histoire que ma tante venait de finir, je savais le jardin peuplé de mes fantaisies redoutables, et que Briarée y montait la garde, toujours, et que l’épouvantable tonneau, ressuscité, crispant les griffes de ses ailes, surveillait de loin ma fenêtre.

À cet âge-là, je désespérais d’être plus tard comme tout le monde et de pouvoir jamais affronter les ténèbres. Et pourtant mes frayeurs s’étaient évanouies, me laissant impressionnable, certes, mais non poltron ; et c’était bien moi qui me trouvais sans inquiétude égaré dans la forêt déserte, — trop vide, hélas ! de fées ou d’enchanteurs.

J’en étais là de mes rêvasseries quand une sorte de