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le docteur lerne, sous-dieu

doir, Emma, entourée d’hommes en habit et de femmes décolletées, se montra d’une exubérance déplacée. Elle lorgnait ceux-ci, toisait celles-là, tantôt admiratrice et tantôt persifleuse, approuvant tout haut, se moquant avec ostentation, source de risées et d’émerveillements, ridicule et délicieuse. Elle aurait voulu jacasser avec toute l’assistance…

Je l’emmenai dès que je le pus. Mais son désir de rentrer dans le siècle était si ardent, qu’il nous fallut immédiatement gagner quelque lieu public.

Du théâtre et du casino, ce dernier seul était ouvert ; et l’on y goûtait ce soir-là les finales d’un championnat de luttes organisé à l’imitation de Paris.

La petite salle était bondée de calicots, d’étudiants et de voyous. Un nuage y flottait, mélange de tous les tabacs prolétaires et bas-bourgeois.

Emma se rengorgeait dans sa loge. Un flonflon crapuleux, issu d’un orchestre sans pudeur, la fit s’extasier. Et comme elle avait l’extase peu discrète, trois cents paires d’yeux lui firent face, attirées par les moulinets d’un éventail et les plumes d’un chapeau, qui battaient la mesure aussi courageusement. Emma sourit et passa la revue des trois cents paires d’yeux.

Les luttes l’enthousiasmèrent, et surtout les lutteurs. Ces bestiaux humains, dont la tête — beaucoup de mâchoire et pas de front — semble destinée au panier de son, excitaient en mon amie la plus regrettable frénésie.