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le docteur lerne, sous-dieu

qui tâte sa voix, l’automobile l’entonna résolument de son gosier de cuivre.

C’était « Roum fil doum fil doum. »

Aux accents de la chanson allemande, une horde de soupçons se rua dans mon trouble. J’eus l’intuition d’une monstruosité fantastique et mystérieuse, — encore ! La terreur m’empoigna. Je voulus couper les gaz, la manette résista ; débrayer, la pédale résista ; freiner, le levier résista. Une force supérieure les maintenait, inébranlables. Perdant la tramontane, je lâchai le volant et tirai à deux bras sur le frein diabolique, — même résultat. Seulement, la sirène fit entendre un glouglou de gargarisme, et se tut après avoir ricané de la sorte.

Mon amie s’esclaffa et dit :

— En voilà une drôle de trompette !

Moi, je n’avais pas envie de rire. Mes idées s’enchaînaient vertigineusement, et ma raison se refusait à sanctionner mon raisonnement.

Cet automobile métallique, d’où le bois, le caoutchouc, le cuir avaient été proscrits, dont nul fragment n’était de la matière autrefois vivante, n’était-ce pas « un corps organisé n’ayant jamais vécu » ? Ce mécanisme automatique, n’était-ce pas un corps doué de réflexes, mais vide complètement d’intelligence ? N’était-il pas, en définitive, selon la théorie du carnet, le seul réceptacle possible d’une âme totale ? ce réceptacle que le professeur avait, sans réfléchir, déclaré inexistant ?…