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le docteur lerne, sous-dieu

Je comprenais pourquoi ce visage avait repris la véritable physionomie de mon oncle ! l’âme de l’Allemand n’était plus là-derrière pour lui donner son expression !…

Klotz meurtrier de Lerne, et non pas Lerne assassin de Klotz !… Je n’en revenais pas. Voilà une confidence que le double personnage avait oublié de me faire !… Et, vexé d’avoir été sa dupe aussi longtemps, je me dis que, vivant seul avec lui, je me serais probablement aperçu de la supercherie, mais que la société de gens confiants au degré d’Emma, ou complices comme les aides, m’avait entraîné dans cette berne, à la suite de leur propre erreur ou de leur mensonge.

« Ah ! ma tante Lidivine ! pensai-je, vous avez raison de sourire avec vos lèvres de pastel. Votre Frédéric a succombé dans un odieux guet-apens depuis près de cinq ans, et l’esprit n’est pas le sien qui vient de quitter cette forme. Rien n’y demeure plus d’étranger, à part un cerveau désert, un globe charnel aussi banal que le foie. C’est donc bien votre excellent mari que nous veillons, si c’est l’autre qui vient de mourir et de payer sa dette… »

À cette idée, je sanglotai de tout mon cœur en face de l’étonnant décédé. Mais le rictus sardonique laissé lors de sa fuite par l’âme gredine, ainsi qu’une estampille, gênait encore mon expansion. Je l’effaçai du bout du doigt, modelant à mon goût la bouche durcie, à peine malléable.