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le docteur lerne, sous-dieu

La stupéfaction, et aussi l’énervement du casse-cou auquel j’avais échappé, me clouaient sur place… Ainsi, en une seconde, il ne restait de Lerne qu’une chair à vermine et qu’un nom pour l’oubli, — rien. Malgré ma haine de cet homme nuisible et mon soulagement de le savoir inoffensif, la prestesse de la Mort, escamotant d’une jonglerie cette monstrueuse intelligence, ne laissait pas que de m’épouvanter.

Comme un fantoche vidé de la main qui le vivifia, pantin prostré sur le rebord de la scène, Lerne, affalé, allongeait flasquement son bras vers le sol ; et la mort enfarinait davantage sa face de Pierrot funèbre.

Pourtant, à mesure que le génie évadé s’éloignait d’elle dans l’Inconnu, la dépouille de mon oncle me parut s’embellir. L’âme est si louangée par rapport à la chair, qu’on s’étonne de voir celle-ci se parer de l’abandon de celle-là. Je suivis aux traits de Lerne les progrès du phénomène. Le grand mystère illuminait son front d’une sérénité divine, comme si la vie était une nuée dont le passage révolu démasque on ne sait quel soleil. Et le visage prenant des tons de marbre blanc, le mannequin devenait statue.

Une larme brouilla ma vue. Je me découvris. Si mon oncle avait péri quinze ans plus tôt, en plein bonheur, en pleine sagesse, le Lerne d’autrefois n’eût pas été plus beau…

Mais je ne pouvais éterniser ma rêverie et ce tête-à-tête, sur une route fréquentée, avec un cadavre. Je