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le docteur lerne, sous-dieu

se relança vers la gauche, virant sur les deux roues latérales… Nous allions verser !… J’empoignai le volant, bloquai tout ce que je pus, des pieds et des mains… L’automobile atténua petit à petit ses écarts, ralentit sa marche, et s’arrêta juste sur la hauteur.

Alors je regardai Lerne.

Il était penché hors de son baquet, la tête ballante et les yeux hagards derrière ses lunettes ; l’un de ses bras pendait. — Un éblouissement ! Nous l’avions échappé belle !… Mais, dans ce cas, c’étaient donc de vraies syncopes, ces éblouissements ? qu’avais-je encore inventé, moi, avec mes sottes idées !…

Cependant mon oncle ne se ranimait pas. L’ayant décoiffé de la casquette à conserves, je vis que sa figure glabre était d’une pâleur de cierge ; ses mains, dégantées, avaient aussi la teinte d’une cire. Je les pris et, fort ignorant de médecine, je les tapai vigoureusement, ainsi qu’on fait aux actrices pour les vapeurs de théâtre.

L’applaudissement claqua dans le repos champêtre. Sonore et funéraire, il saluait la sortie du grand cabotin.

Frédéric Lerne avait cessé de vivre, en effet. Je l’appris de ses doigts refroidis, de ses joues plus livides, de son œil sans âme, de son cœur arrêté. L’affection cardiaque à laquelle je m’étais refusé de croire venait de le supprimer, selon la coutume de ces maladies : sans crier gare.