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le docteur lerne, sous-dieu

toire. « Est-ce que mon oncle, me dis-je, leur a commandé l’exécution du peuplier, ce patriarche vénérable, ce roi de Fonval ? Ce serait trop fort ! » — Et là-dessus, voulant m’informer de la chose auprès de Lerne, je m’aperçus qu’il avait un éblouissement.

Immobilité, pâleur, fixité du regard, je vérifiai les signes distinctifs de son mal, et je parvins à déterminer ce qu’il lorgnait avec une persistance de somnambule. Or, ce qu’il lorgnait, c’était le peuplier, cet arbre animé dont l’apparence actuelle évoquait si effroyablement les dattiers de la serre, amoureux ou batailleurs… Je me souvins du carnet. N’y avait-il pas, entre l’absence de cet homme et la vie de cet arbre, quelque formidable correspondance ?…

Tout à coup le son d’une hache sur un tronc tonna sourdement. Le peuplier frissonna, se tordit…, et mon oncle fit un haut-le-corps : sa tasse lâchée se brisa contre le parquet, et, tandis que ses joues reprenaient leurs couleurs, il porta vivement la main à ses chevilles, comme si la hache avait frappé l’homme et l’arbre du même coup.

Cependant Lerne se remettait petit à petit. Je parus n’avoir rien remarqué, sinon la défaillance, et je lui dis qu’il devrait se soigner, que ces faiblesses répétées finiraient par le terrasser. « Connaissait-il au moins leur provenance ? »

Mon oncle fit signe que oui. Emma s’empressait autour de son fauteuil.