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le docteur lerne, sous-dieu

exaspérée, elle contempla longtemps avec amour ce corps de jeune mâle dont elle avait tiré la joie du sien. L’abruti parut s’intéresser à cette pose bien plus qu’au manège précédent.

Une telle scène dépassait les bornes du grotesque et de l’horrible. Cette femme éprise de ma forme où je n’étais plus ! Cette femme, que j’adorais, amoureuse d’une bête ! Comment accepter cela d’une âme tranquille ?… Et je savais, par l’histoire de Mac-Bell, que les passions d’Emma ne reculaient pas devant la folie ! et que mon ancien corps, plus athlétique, devait ainsi lui plaire davantage !…

Ma colère éclata. Ce fut la première fois que je subis la domination de ma chair violente. Fou de rage, soufflant, renâclant, écumant, je parcourus la prairie en tous sens et labourai le sol, du sabot et de la corne, dans la furie de tuer n’importe qui…

De cet instant, la haine empoisonna mes rêveries, une haine féroce contre ce butor surnaturel, ce Minotaure godiche qui faisait de Brocéliande une Crète burlesque avec son labyrinthe de forêt !… J’exécrai ce corps que l’on m’avait volé, j’en étais jaloux, et, souvent, lorsque Jupiter-Moi et Moi-Jupiter nous nous regardions, en proie tous deux à la nostalgie de nos défroques désertées, la fureur m’empoignait de nouveau. Je chargeais à tort et à travers avec des mugissements de corrida, la queue dressée, le naseau fumant, le front bas, prêt au meurtre et le désirant