Page:Renard - Le Docteur Lerne sous-dieu, 1908.djvu/230

Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
le docteur lerne, sous-dieu

de clair de lune et les yeux qu’on ouvre dans la nuit. Veuve pathétique, elle laissait paraître avec assez de noblesse la révolte de son amour en deuil et la ferveur de ses regrets. Ainsi, elle m’aimait toujours, et, ne me voyant plus, me prêtait le sort qu’elle attribuait à Klotz, et non la destinée de Mac-Bell — que, du reste, elle avait méconnue ! — Dans son esprit, je ne pouvais être que mort ou fugitif. La vérité lui échappait !

Chaque jour plus pieusement, je suivais sa procession aussi longtemps que je le pouvais. Séparé d’elle par un fil de fer barbelé, je tentai des mimiques et des paroles. Mais Emma s’effarait du taureau, de ses pirouettes et de ses beuglements. Elle ne comprenait rien, — pas plus qu’à travers les menées de la chienne je n’avais compris Doniphan. — Parfois, quand l’intention d’un geste trop humain faisait chanceler ma pesanteur quadrupède, la jeune femme s’en amusait…

Et je me surpris à tituber afin de la voir sourire.

Ainsi l’amour, peu à peu, reconquit ses droits de tourmenteur.

Il ne pouvait revenir sans l’escorte de la jalousie. Et c’est elle qui, en second lieu, accéléra les progrès de ma langueur.

C’est elle, mais flanquée d’un sentiment extraordinaire…

Il y avait, entre le pâturage et l’étang, ce pavillon hexagone, ce kiosque de plaisance : l’ex-géant Briarée. Lerne m’infligea le désagrément d’y loger mon ancien