Page:Renard - Le Docteur Lerne sous-dieu, 1908.djvu/223

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
le docteur lerne, sous-dieu

nous verrons plus tard à nous débarrasser de cette vieillerie… Tes dehors captivants ne sont-ils pas en réserve et à ma disposition ?

À ces mots sarcastiques, je pleurai de plus belle. Mon oncle poursuivit en affectant la commisération :

— Eh ! j’abuse de ta vaillance, mon cher malade ! Repose-toi. La satisfaction de ta curiosité te donnera, j’espère, un sommeil réparateur. — Ah ! j’oubliais : ne t’émeus pas de percevoir le monde extérieur autrement que naguère. Entre mille nouveautés, les choses doivent te sembler aussi plates que sur une photographie. C’est que, la plupart des objets, tu les regardes seulement d’un œil à la fois. Ainsi, pourrait-on dire en jouant sur les termes, beaucoup d’animaux ne sont que des doubles borgnes. Leur vue n’est pas stéréoscopique. Autres yeux, autres visions ; à nouveau tympan, nouveaux sons ; ainsi de suite. Ce n’est rien. Chez les hommes eux-mêmes, chacun a sa façon d’apprécier les choses. L’habitude nous enseigne, par exemple, qu’il faut appeler « rouge » certaine couleur, soit ! mais tel qui la nomme « rouge » en reçoit une impression de vert — cela est fréquent — et tel autre une impression de merdoie ou de turquin… Allons, bonsoir !


Non, ma curiosité n’était point satisfaite. Mais je m’en rendais compte sans pouvoir fixer les points que