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NOCTURNE


Ce premier dimanche de juin finissait. L’ombre de l’automobile, précédée de la mienne comme d’un éperon, courait devant moi, plus longue à chaque moment.

Depuis le matin, les gens, faces anxieuses, me regardaient passer comme on regarde une scène de mélodrame. Avec le casque de cuir qui me faisait un crâne chauve et mes lunettes en hublots pareilles aux orbites d’un squelette, le corps vêtu de peau tannée, je devais leur sembler quelque phoque infernal et macabre, quelque démon de saint Antoine, fuyant le soleil et volant à la rencontre de la nuit afin d’y rentrer plus tôt.

Et tout de bon, j’avais presque l’âme d’un réprouvé, car telle est celle d’un voyageur solitaire, demeuré sept heures durant sur une voiture de course. Son esprit