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le docteur lerne, sous-dieu

— Tais-toi donc, Jupiter ! fit Lerne, tu fatigues ce pauvre Nicolas qui a besoin de repos !

Et il montrait mon corps en alarme, soulevé sur le lit.

Ainsi donc, j’étais le taureau noir ! Lerne, le détestable magicien, m’avait changé en bête !

Il se divertit grossièrement. Les trois malandrins, serviles, se tenaient les côtes, pouffaient ; et mes yeux bovins apprirent à pleurer.

— Eh bien ! — dit l’enchanteur, comme répondant à la débâcle de mes pensées — eh bien oui ! tu es Jupiter. Mais tu as le droit d’en demander plus. Voici ton état-civil. Tu naquis en Espagne dans une célèbre ganaderia, et tu sors de parents notoires dont la postérité mâle succombe glorieusement, l’épée au garrot, sur le sable des arènes. Je t’ai ravi aux banderilles des toréadors. Votre race convenant à mes desseins, je vous ai achetés très cher, toi et les vaches. Tu me coûtes deux mille pesetas, le transport non compris. Il y a cinq ans et deux mois que tu es né ; tu peux donc vivre encore autant, pas davantage… si nous te laissons mourir de vieillesse. Somme toute, je t’ai acquis pour me livrer sur ton organisme à quelques expériences… Nous n’en sommes qu’à la première.

Mon spirituel parent fut pris d’un accès de fou rire. Quand il eut épanché le trop plein de sa bonne humeur :

— Ha ! ha ! Nicolas !… Cela va bien, eh ? Pas trop mal, je suis sûr. Ta curiosité, fils de la Femme, ton