Page:Renard - Le Docteur Lerne sous-dieu, 1908.djvu/205

Cette page a été validée par deux contributeurs.
201
le docteur lerne, sous-dieu

l’assemblée, me permit de voir un homme tout nu lié à la table, les mains sous la claie, immobile et blanc, cireux, cadavérique, la moustache noire pâlissant encore sa pâleur, et la tête enveloppée d’un pansement moucheté de… enfin, d’éclaboussures vertes. Sa poitrine se soulevait en mesure ; il aspirait l’air à pleins poumons, les ailes du nez battant à chaque inhalation.

Cet homme — je fus quelque temps à l’accepter —, c’était moi.

Quand je fus certain que nulle glace ne me renvoyait ma propre image, — contrôle aisé, — il me vint à l’esprit que Lerne avait dédoublé mon être, et que maintenant j’étais deux…

Ou plutôt ne rêvais-je pas ?

Non ; à coup sûr. Mais, jusqu’à présent, l’aventure ne dépassait point le bizarre : je n’étais ni mort ni fou, — et cette évidence me ragaillardit au suprême degré. (Que l’on proteste à volonté contre la certitude où j’étais d’avoir toute ma raison. L’avenir devait confirmer ce jugement téméraire).

L’opéré venait de hocher la tête. Wilhelm le détacha, et j’assistai au réveil défaillant de mon sosie. Ayant ouvert des yeux d’aveugle, il dodelina de la tête d’un air idiot, caressa les bords de la table, et s’assit. Il avait bien mauvaise mine. Je n’admettais pas que ma ressemblance pût manifester un tel abrutissement.

On coucha le malade dans le petit lit de sangle. Il se laissa dorloter. Mais bientôt des nausées douloureuses