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le docteur lerne, sous-dieu

Mais cette agonie à rebours s’avançait malgré moi, et la vie me reprit.

Cependant les objets, distincts à présent, demeuraient difformes, sans relief, et bizarrement colorés. Ma vision embrassait un large espace, un champ plus vaste qu’auparavant ; — je me rappelai l’influence de certains anesthésiques sur la dilatation de la pupille, phénomène qui entraînait sans doute ces perturbations de la vue.

Je constatai néanmoins sans trop de difficulté qu’on m’avait enlevé de la table et couché par terre, de l’autre côté de la chambre ; et, en dépit de mon œil qui fonctionnait à la manière d’une lentille déformante, je parvins à reconnaître la situation.

Le rideau n’était plus tendu. Lerne et ses aides, groupés autour de la table opératoire, s’y livraient à certaine besogne que leur réunion me dissimulait, — probablement le nettoyage des outils. Par la porte grande ouverte, on découvrait le parc et, à vingt mètres à peine, un coin de pâturage où les vaches nous regardaient, ruminantes et beuglantes.

Seulement, j’aurais pu me croire transporté dans le tableau le plus révolutionnaire de l’école impressionniste. L’azur du ciel, sans perdre sa profondeur lucide, s’était mué en une belle teinte orangée ; la pâture, les arbres, au lieu de verts me semblaient rouges ; les boutons d’or de la prairie étoilaient de violettes un gazon vermillon. Tout avait changé de couleur, — sauf pour-