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le docteur lerne, sous-dieu

tions aussi radicales, mais dans le sens décadent ?…

» Il te faudrait alors conclure étrangement : « Celui qui meurt âgé n’est plus celui qui est né. Celui qui vient de naître, et doit succomber sur le tard, ne mourra pas. Du moins, il ne mourra pas d’un seul coup, mais progressivement, éparpillé aux quatre vents du ciel en poussière organique, tout au long d’une phase pendant laquelle un autre se formera lentement au même endroit, qui est le lieu du corps. Cet autre, dont la naissance est imperceptible, se développe en chacun de nous, sans qu’on le devine, à mesure que le premier s’effondre. Il le supplante de jour en jour, et, modifié lui-même incessamment au gré des myriades de cellules sans cesse mortes et recréées dont il est l’assemblage, c’est lui qu’on verra trépasser. »

» Telle serait ta conclusion, que d’aucuns jugeraient exactes ; et ceux-ci d’ajouter : « Il est vrai que l’esprit semble bien persister, immuable au milieu de toutes ces évolutions ; néanmoins cela n’est pas prouvé, car si les traits de l’enfant s’attardent en général dans ceux du vieillard, l’âme parfois s’altère au point que nous-mêmes nous ne reconnaissons pas la nôtre. Et puis, pourquoi les éléments du cerveau ne se pourraient-ils rénover, molécule à molécule, sans que la pensée en soit interrompue, de même qu’on peut changer, un par un, les éléments d’une pile, sans que l’électricité s’arrête pour cela d’en être engendrée ? »