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le docteur lerne, sous-dieu

qui insulte est la bien-aimée, si le poing qui frappe est solide, et pourrait d’aventure frapper jusqu’au bout. — Je déclarai à ce vieux magot débile que j’en avais assez de la solitude et de la pauvreté : — « Je veux partir », lui dis-je. Ah ! mon petit, si tu l’avais vu ! Il était à mes genoux et les embrassait : — « Comment ! comment ! Emma ! reste, je t’en conjure ! Attends !… Attends deux années encore ! Après, nous partirons ensemble, et tu auras une existence de reine ; je serai riche, très riche… Patiente ! Je sais bien : tu n’es pas faite pour être toujours ainsi, comme au couvent. Crois-moi ! je te prépare une fortune incalculable… Deux années de petite bourgeoise pour une vie d’impératrice !… »

» Éblouie, je n’ai pas quitté Fonval.

» Mais les ans se succédèrent, le terme échut, et de luxe : point. J’attendis toutefois, confiante dans la confiance même de Lerne et dans son génie. — « Ne te décourage pas, me disait-il, nous approchons. Tout arrivera selon ma prophétie : tu auras des milliards… » Et, pour amuser mon oisiveté, il me fit envoyer de Paris, à chaque saison, des robes, des chapeaux et toute sorte de colifichets : — « Apprends à les porter, repasse ton rôle et répète l’avenir… »

» J’ai vécu trois ans de cette façon, entre Lerne et Mac-Bell : par l’un rudoyée, outragée, puis adorée comme une Madone et comblée de parures inutiles, et par l’autre saisie à la dérobée, par-ci par-là, au ha-