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le docteur lerne, sous-dieu

mannequins d’osier, revêtus de toilettes extrêmement élégantes, y groupaient une réunion de coquettes manchotes et décapitées. La cheminée, les guéridons étaient des étalages de modiste, où les plumes et les rubans confectionnaient ces embrouillages minuscules ou démesurés qui ne deviennent chapeaux jolis qu’une fois sur la tête. Un bataillon d’escarpins se chaussait d’embauchoirs. Et mille babioles féminines s’entassaient partout, dans une senteur fine et perverse qui était celle d’Emma.

Ma pauvre chère tante, j’eusse préféré que votre chambre fût davantage profanée et que Mlle Bourdichet en eût fait la sienne, plutôt que de l’entendre rire à côté, dans celle-là même de votre mari ; car ceci ne me laissait guère d’illusions…


À mon apparition, Emma et Barbe furent stupéfaites. La jeune femme comprit aussitôt et se mit à rire.

Elle était au lit et déjeunait. D’un tour de poignet, elle tordit la flamme de ses cheveux pour une coiffure de Bacchante. Je vis, dans ce mouvement, l’ombre de tout son bras au travers d’une manche, et sa chemise s’ouvrit qu’elle ne chercha point à refermer.

On avait poussé contre le lit une table chargée de carafes et de plats. Barbe, qui servait sa maîtresse, coupait dans un jambon des tranches marmoréennes. Ma première pensée fut que la table et Barbe allaient me gêner considérablement.