Page:Renard - Le Coureur de filles.djvu/214

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
BAUCIS ET PHILÉMON

fumante. Volontiers elle eut pris un bol de vin. Elle se risquait :

— Ne veux-tu point m’en donner une goutte, mon vieux ?

— Est-ce que je te demande des pommes de terre, bourrique, répondait le vieux cramoisi comme l’envers d’une douve ancienne. Chacun son lot ; garde le tien, je garde le mien.

Cependant, il restait souvent sur sa faim, opiniâtré même contre son ventre. Dépitée, la vieille, par vengeance, mangeait au delà de sa capacité. Elle faisait sauter la pomme de terre d’une main dans l’autre, en soufflant dessus, pour qu’elle se refroidît, y donnait un coup de dent avec trop de hâte, et le morceau roulait encore dans sa bouche, lui brûlait la langue et la gorge. Elle croyait manger de la flamme. Soudain, ses bras tombaient. Elle fermait les yeux, et, affaissée, entr’ouvrait les lèvres. Des choses blanches, des mixtures de salive et de pommes de terre pendaient aux coins. La respiration gênée