jamais elle ne parvint à fixer des limites, à tracer des sentiers secs, et toujours les parts débordaient l’une sur l’autre. Exaspérée, elle prit l’assiette, renversa dans celle de son mari la moitié du gâteau et dit :
— Tiens, bourre-toi.
M. Bornet emplit une cuiller à potage, souffla sur la crème tant elle lui parut froide, et n’en fit qu’une bouchée. Mais sa langue embarrassée refusa de claper. Il grimaça, puis sourit :
— Je crois qu’elle a un petit goût, dit-il.
— Allons ! bon, dit Madame. Quel homme à caprice ! ma parole, je ne sais plus qu’inventer pour te nourrir. Seigneur, que je suis donc malheureuse !
— Essaie, toi, dit simplement M. Bornet.
— Je n’ai pas besoin d’essayer. Je suis sûre d’avance qu’elle n’a aucun goût.
— Essaie tout de même. Avales-en une cuillerée, rien qu’une.
— Deux, si tu veux, fit Mme Bornet.
En effet, elle les avala coup sur coup et dit :
— Eh bien ! quoi ? Qu’est-ce que tu lui trouves, à ce gâteau ? Un peu fait, peut-être.
Mais elle n’en reprit pas. Elle se désolait, allait pleurer, quand M. Bornet eut une idée.
— Écoute ! Il y a longtemps que tu n’as rien offert au concierge, et j’ai observé que, depuis le jour de l’an, ses prévenances diminuent. Privons-nous. Donnons-lui le gâteau. Nous avons la vie devant nous, pour nous en payer d’autres, n’est-ce pas ?
— Au moins, remets ta part, dit Mme Bornet.
Ils firent monter le concierge.