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s’opèrent. De l’eau coule goutte à goutte. Au fond d’un vase, quelque chose d’huileux devient jaune. Une pâte lavée, un résidu se forme. La cartouche de Lefaucheux est là, en un coin, debout. Les doigts de M. Navot ont peur. Il se dresse, pousse un gros soupir et s’éponge, car de son propre corps même se dégage une chaleur inquiétante. Il verse un liquide et soudain en ôte la moitié. Il coupe des cordons et les renoue. Il double la longueur d’une mèche ; il y ajoute encore. Il s’embrouille, barbote, misérable au milieu des puissances infernales qu’il ose remuer.

V

Un instant, M. Navot, soucieux du naturel, a l’idée de rester chez lui. Ce soir, il poserait son modeste engin au premier étage, remonterait vite au cinquième, se coucherait et, la tête dans ses draps, il attendrait l’explosion ou tâcherait de s’endormir.

Mais il réfléchit que la bombe peut, trop réussie, pulvériser l’immeuble au lieu d’égratigner l’escalier. Il se refuse l’honneur d’imiter ces capitaines qui n’abandonnent leur navire que s’il n’y a plus un passager à bord, et qu’ils sont tous noyés.

VI

La mèche brûle sur le paillasson du magistrat. Comme poursuivi, M. Navot descend, passe devant la loge du concierge, lui crie, selon sa coutume : « Veillez, mon brave ! » et dehors se retient à grand’peine d’ouvrir les ailes qui lui poussent.