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LE SYMBOLISTE EXASPÉRÉ


Peu importe, lecteur, que tu ne comprennes point Éloi devenu tout à coup symboliste. Il n’a aucune sorte d’estime pour toi. Si tu lui dis : « Je ne comprends pas ! » ses mains se frottent d’elles-mêmes, et s’il lui arrive de se comprendre, il n’est plus fier. C’est pourquoi il veut, infatigable, toujours aller à l’obscur, vers du plus obscur encore. Aveugle, il jetterait, la nuit, sur un tableau noir, les lettres retournées de mots sans suite.

Or, il surprend sa gentille amie en larmes.

— Oui, dit-elle, il faut que je t’ouvre mon cœur. J’ai trop de chagrin. Je lis tout ce que tu fais. Je le relis en cachette, mon petit Larousse sur mes genoux. Va, je travaille ; souvent ma tête éclate. Et je peine vainement. Impossible de traduire une ligne. Je suis donc bien bête ! j’en crierais ; je serais si heureuse de deviner quelquefois. Je t’aime tant !

Elle pleure comme une source pure.

Éloi lui baise les mains, et, presque vaincu, appuie son front sur l’épaule de son amie, mais pour le relever soudain, avec orgueil et défi.

Il mourra avant d’oublier cette minute où il faillit, à cause de sa gentille amie, perdre, d’un coup, tout le talent qu’il a de ne pas écrire en français.