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LE MAUVAIS LIVRE


Éloi pose sur la table le nouveau livre, s’assied, s’installe, et vibrant déjà de l’émotion prochaine, ses pouces dans ses oreilles, il commence la lecture.

Aux premières lignes, il donne des signes d’énervement.

D’abord, (il s’y connaît), l’auteur écrit comme un sanglier. Puis tout va mal. Dès le quatrième chapitre, les personnages sentent la mort. La brume des milieux est impénétrable, le décor d’occasion, et le nœud se défait, à chaque instant, comme une cravate.

— Non, tu n’y es pas, mon pauvre ami, dit Éloi ; tu nous écœures.

Il se penche en arrière, tambourine, sifflote, agite son crayon rouge, barre les pages de traits brusques qui sont comme les éclairs de sa fureur.

Mais quand rate même la grande scène qu’il attendait et qu’eût réussie le dernier venu, Éloi n’y tient plus.

— Assez, s’écrie-t-il, tu n’y entends rien ; ôte-toi de là !

Il ferme le volume, le repousse, prend une plume, du papier, et se substituant à l’inhabile auteur, il écrit fiévreusement le reste du mauvais livre.