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Sournoisement, chaque matin, il croiserait des baguettes sur les bancs sans cesse enduits de peinture fraîche.

Mais ces meurt-de-faim y prendraient-ils garde ? Ils sont assez las pour dormir sur des culs de bouteille.

Puisqu’il n’a que de pareils êtres à surveiller, ses fonctions lui semblent basses et la supériorité en ce monde une chose vaine.

Soudain, il reprend tous les pouces qu’il avait perdus de sa taille et sourit : un couple lui arrive d’un monsieur et d’une dame bien mis, qui marchent lentement, hanche contre hanche.

Le gardien se cambre, avec une mimique gracieuse et discrète, comme s’il voulait faire les honneurs et inviter Madame et Monsieur à s’asseoir… oh ! cinq minutes seulement !

Mais le couple passe, laissant derrière lui une odeur fine que tous les nez respirent pour la porter à tous les cœurs. Le parfum d’une femme ne donne-t-il pas l’envie de s’attabler à son corps ?

Le gardien se penche sous un peu plus d’humiliation.

— C’est ma déception quotidienne, se dit-il. Comment d’honnêtes gens proprement vêtus s’arrêteraient-ils au milieu de cette gueusaille ?

Il rentre à son kiosque, et, découragé, par les vitres, d’un œil méchant guette, (il le faut bien !), cette troupe infâme et sans étage qu’il ne peut pas mettre à la porte de chez lui.

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