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LE VIEUX DANS SA VIGNE


Il la pioche, la pioche tout le jour, toute l’année. Il s’est rapetissé à la taille des échalas. Entre les ceps, il courbe son dos vêtu de poils roux que grille encore le soleil. Il met son nez dans l’aisselle de chaque feuille et regarde longuement pleurer l’écorce.

Les merles n’ont plus peur. Ils écoutent venir la pioche infatigable frappant les mauvaises herbes et l’évitent sans hâte, l’aile à peine ouverte.

Un instant, le vieux s’assied et mange son pain et ses oignons, l’œil fixé sur un raisin qui pousse près de lui. Il ne lève la tête que pour deviner s’il fera beau demain.

Il rentre à la maison si tard que sa femme est couchée. Quand il quitte le lit, elle dort toujours. Il ne la voit jamais : il l’oublie.

Il n’aime que sa vigne et, ma foi, c’est une bonne vigne, car malgré les gelées, la grêle qui tue, la pluie qui noie, l’insecte qui ronge, elle rapporte fidèlement au vieux des poires sauvages, de petites pêches aigres, des noisettes, des groseilles blanches ou rouges, et même quelques asperges.

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