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LE GARDIEN DU SQUARE


À Maurice Barrès.


C’est, entre une caserne haute et l’échafaudage d’une maison qu’on ne finit pas de construire, un square pauvre.

Si on osait en comparer la verdure à quelque tapis, ce serait à une carpette usée et souillée par des chaussures sales. Les oiseaux ne s’y posent plus. On ne leur a jamais jeté de mie de pain, et peut-être qu’elle leur serait volée ! Aucun industriel n’a jugé commercial d’y installer une bascule automatique.

Sur les bancs aux dossiers durs, les pauvres bâillent, dorment, la bouche ouverte aux feuilles tombantes, ou bien ôtent leurs souliers et font prendre l’air à des pieds impurs et malades qu’une mère ne reconnaîtrait pas. Quelques-uns lisent des bouts de journaux sans date, qui ont enveloppé du fromage. Ils y cherchent des chiens à retrouver.

Sorti de son kiosque, le gardien du square se promène en uniforme vert, tenant ferme la poignée de son épée afin d’éviter ses crocs-en-jambe. Il dévisage ces déguenillés, toujours les mêmes et toujours là, qui lui font honte. Volontiers, il les provoquerait.