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— Ah ! comme je vous ressemble ! Si l’une d’elles me faisait un signe, je la suivrais au bout du monde.

— Vous vous vantez.

— Hélas ! oui, nous nous vantons.

Ce n’était pas sérieux. Au fond, c’est un sage. Il n’envie personne et il ne désire rien de toutes ses forces.

— Sauf la liberté d’être paresseux ?

— Pas même.

— Avec de la fortune ?

— Non, non, dit-il : je travaille quand je veux et je gagne assez pour mon modeste ménage.

— Il n’y a que deux ménages comme ça, et ce sont les nôtres.

— Nous devrions, dit-il, nous voir plus souvent.

— Le plus souvent possible. À bientôt.

Oui. oui, il faut que je revoie cet homme demain, après-demain, quotidiennement, et que je ne le perde pas. Aucun homme n’est à ce point mon pareil. Il m avait fait cette impression, comme tous les ans d’ailleurs, à notre dernière rencontre, due, comme celle-ci, au hasard.

Pourquoi ne l’ai-je pas suivi, et ne l’ai-je pas cherché ?

Et ne s’étonne-t-il point de nos longues indifférences ? Tout à l’heure, il n’avait que moi, je n’avais que lui. Brusquement on s’aimait d’une amitié exclusive, qui ne se prouve que par des passades, car je sens bien, dès que nous nous sommes quittés, qu’en voilà encore pour jusqu’à l’année prochaine.


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