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AMIS INTIMES


Nous le sommes une fois par an, au plus, et cette amitié intime dure un quart d’heure à peine.

Il y a bien une année que je ne l’ai vu, quand soudain je le rencontre, n’importe où, sur le boulevard.

Il allait, comme moi, sans but. Il s’ennuie, moi aussi. Une poignée de mains nous accroche et nos cœurs communiquent.

Que de goûts et de dégoûts communs !

Nous détestons le théâtre, le monde et les journaux, et cette vie de fiévreux.

— On ne vit qu’à la campagne, dit-il.

— Oui, dis-je, au sens large du mot vivre.

— Avec deux cents francs par mois, dit-il, on peut y nourrir trois au quatre personnes.

— Quatre ou cinq.

Cependant il a des faiblesses pour Paris.

— Oui, tenez, en ce moment, dit-il, Paris me trouble. Oh ! je ne cède pas, mais je suis tenté. Toutes ces jolies petites bonnes femmes qui passent, à notre droite et à notre gauche, m’amollissent. Je voudrais être quelque chose dans la vie de chacune d’elles.