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LE POING DE DIEU


En blouse courte, coiffé d’un chapeau haut de forme à longs poils, Tiennot revient de la foire. Il a tout vendu, son cochon, ses fromages, ses deux vieilles poules, et les poules il les a vendues comme poulets, après les avoir soûlées de vin.

Pleines de vie, l’œil brillant, la fièvre aux ailes, aux pattes, elles ont trompé une dame confiante qui, sans doute, les soupèse maintenant, avec surprise et colère, pendantes, froides, crevées. Tiennot sourit ; il ne se repent pas, il en a réussi bien d’autres. Il zigzague, les jambes molles, tient toute la route, car tandis que les poules piquaient des gouttes de vin dans leur écuelle, il buvait le reste de la bouteille.

Or un vélocipédiste crie, un grelot sonne, une trompe corne derrière lui. Il n’entend pas. Il va d’un bord à l’autre de la route, écarte les bras, gesticule, attendri comme s’il revendait une deuxième fois ses poules.

Et soudain il reçoit sur son chapeau à longs poils un coup de poing qui l’écrase.

Tiennot s’arrête, fléchissant, la tête dans la nuit jusqu’aux oreilles, prisonnière. Il essaie de relever