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L’ENFANT DE NEIGE


Il neige, et par les rues, nu-tête, Tiennette la folle court comme une folle. Elle joue toute seule, attrape au vol des mouches blanches avec ses mains violettes, tire la langue où se dissout une pastille légère qu’on goûte à peine et, du bout du doigt, écrit des bâtons et des ronds sur la nappe éclatante.

Plus loin, elle devine que cette petite étoile est tombée d’une patte d’oiseau, cette grande d’une patte d’oie, et cette autre, inconnue, des cieux peut-être.

Une fois, les semelles qui la grandissaient jusqu’aux chaumes et lui donnaient le vertige se décollent. Elle s’écroule et reste longtemps par terre, en croix, bien sage, tandis que son portrait se moule.

Puis elle se fait un enfant de neige.

Il a des membres tordus et rétrécis par le froid. Il a des yeux crevés, au nez un trou unique qui en vaut deux, et une bouche sans dents, un crâne sans cheveux, parce que les cheveux et les dents c’est trop difficile.

— Le beau petit ! dit Tiennette.

Elle le serre contre son cœur, le berce en sifflotant, et dès qu’il fond un peu, elle le change vite, le roule maternellement dans la neige fraîche pour l’envelopper d’une couche propre.