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JEAN, JACQUES


À Marcel Boulenger.


Jacques. — Au moins, dors-tu bien ?

Jean. — Oui, si j’ai le soin, au bord du sommeil, de me prendre à la gorge, des deux mains. Je me tiens fortement. Je suis sûr de ne pas me laisser échapper, et je passe une nuit tranquille.

Jacques. — As-tu, comme moi, le goût des oreillers durs ? je n’en trouve point d’assez durs. Je voudrais un oreiller de bois, dont la taie serait une écorce, et je m’éveillerais les oreilles saignantes.

Jean. — Nous sommes de pauvres misérables qui descendons vers le singe.

Jacques. — Vers le jouet mécanique aux pattes alternantes. Notre vie, c’est une roue qui fait crrr… crrr… Quand je pense que, chaque matin, je m’exerce à enfiler mon pantalon sans y toucher ! J’arrondis sur le modèle d’un cylindre ma culotte droite. Celle de gauche ne m’intéresse pas. Je lève la jambe, et ffft ! il faut qu’elle fuse comme une hirondelle dans un couloir ; sinon, je recommence.

Jean. — Réussis-tu souvent ?

Jacques. — À la fin je triche, et las de danser sur