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SCÈNE II

LE VIEUX

Ces petits sont bien ridicules. Les uns vont au café et s’y gâtent l’estomac. Les autres n’y vont pas, et c’est afin de se donner un genre.

Les uns fument pour faire les hommes ; les autres ont pris la mauvaise habitude d’être incommodés par l’odeur du tabac. Je les trouve grotesques, surtout en amour. Ceux-ci sont chastes comme des bœufs, et, comme ces grosses bêtes, regardent le monde avec ahurissement. Ceux-là changent de femme chaque nuit et s’exposent à des altérations de santé. Les autres gardent toujours la même, et alors ça gêne leurs mouvements.

Le soir, quand je noue mon foulard serre-tête, je songe à leurs groupes littéraires, et je ris, je ris au point que mon lit tremble de tous ses ressorts : comme autrefois, me dit poliment Madame.

Et ces groupes ont des présidents, des vice-présidents, des membres même ; comme c’est drôle ! Oh ! je reconnais de bonne grâce que quelques jeunes vivent à l’écart. Mais ils ont tort : à leur âge, on doit fréquenter les écoles, pour faire plaisir aux parents.

En outre, ils apportent, crient-ils, ces petiots, des formules neuves. J’en avais aussi dans le temps, plein mes poches, sur des bouts de papier que, depuis, j’ai mâchés, par distraction. On prend sa formule au départ. On la pique sur son chapeau, durant le voyage ; mais, quand on est arrivé, à quoi sert-